Une fonction aux multiples visages

Derrière chaque décision judiciaire dans les dossiers les plus complexes de criminalité organisée, de terrorisme ou de cybercriminalité, se cache souvent le travail minutieux d'un assistant spécialisé. Ces professionnels, membres des équipes juridictionnelles, véritables experts techniques au service des magistrats, ont été rassemblés lors d'une journée inédite organisée par l'ENM, leur permettant un temps d’échange précieux et marquant une reconnaissance institutionnelle de leur rôle crucial.

La diversité des profils présents lors de cette journée témoigne de l'étendue du champ d'intervention de ces assistants. Cybercriminalité, prévention du terrorisme, douanes, criminalité économique et financière : chaque spécialisation répond aux défis croissants d'une délinquance qui ne cesse d'évoluer et de se professionnaliser.

À Toulouse, la création du poste répond à un besoin concret :

« Une vague d'homicides opposant deux groupes criminels dans un quartier toulousain, à l'été 2020. Ces dossiers particulièrement lourds, qui comportaient des données issues de messageries cryptées et un dossier propre de trafic et blanchiment en bande organisée, impactaient trois cabinets d’instruction », explique Dorian Arnold, assistant spécialisé à Toulouse.

Roselyne Boisseau, assistante spécialisée au parquet général de la cour d’appel de Rennes sur les dossiers de criminalité organisée, économique et financière, évoque son rôle au sein de la juridiction :

« Je prépare les dossiers de criminalité organisée et économique et financier appelés devant la chambre correctionnelle pour les avocates générales du parquet général en charge de ces dossiers. Il s’agit principalement des dossiers JIRS et quelques dossiers infra JIRS. Ma préparation doit permettre à l'avocat général de prendre rapidement connaissance du dossier, de le replacer dans ses différents environnements et d'avoir en condensé les éléments utiles à la préparation de ses réquisitions et au débat judiciaire. »

À l'instruction, Dorian Arnold assure :

« un suivi des commissions rogatoires, vérifiant que certains aspects n'ont pas été omis ou trop rapidement traités », tout en étant « force de proposition d'axes d'enquête ».

Il peut même être sollicité pour :

« reprendre des dossiers toujours ouverts mais au point mort, qualifiés de cold cases ».

Des défis considérables

« La spécificité de ces dossiers tient à leur volume, à la multiplicité des individus impliqués, des faits et des éléments d'enquête à intégrer, analyser, évaluer », souligne Dorian Arnold. « Un réel défi existe lorsque les éléments matériels ne sont pas suffisants ; la connaissance du dossier doit être millimétrée, minutée (parfois même quelques secondes comptent), toujours dans une contrainte de temps, afin de faire jaillir la vérité. »

Roselyne Boisseau pointe d'autres difficultés :

« les spécificités et défis des dossiers de criminalité organisée tiennent à mon sens aux défenses mises en œuvre par les avocats des prévenus et à une certaine professionnalisation des mis en cause s'adaptant notamment aux techniques spéciales d'enquêtes et maîtrisant les procédures policière et judiciaire ».

Sur le plan humain, le contact avec ces dossiers interroge différemment chaque professionnel.

« Le sentiment parfois de vider l'océan à la petite cuillère peut être humainement éreintant. À l'instruction, la justice traite les conséquences des actions humaines, et non leur cause », confie Dorian Arnold. Roselyne Boisseau, elle, s'interroge « sur l'impact sur le quotidien notamment des habitants autour des points de deal et la fragilité de la société face à la corruption pratiquée par cette délinquance ».

Une initiative très attendue

Cette première journée répond à un besoin important de créer un réseau entre assistants spécialisés.

« Le nombre de participants à cette journée a montré que cette initiative était attendue », confirme Roselyne Boisseau. « Les intervenants et les échanges ont été riches et dynamiques. La journée a été dense pour faire pleinement connaissance et discuter avec ses homologues. Les partages d'expériences ont été inspirants », ajoute Dorian Arnold.

L'après-midi a permis d'aborder les questions statutaires avec la Direction des services judiciaires du ministère de la Justice, une attente forte des participants, ainsi que la formation continue avec plusieurs magistrats coordonnateurs de formation de l'ENM.

Dans un contexte où la criminalité organisée gagne en sophistication, cette première journée de regroupement marque une étape importante dans la reconnaissance institutionnelle de cette profession.

L'assistant spécialisé, un métier de l'ombre au cœur de la lutte contre la criminalité organisée